
Avant qu'on aille plus loin, j'aimerais faire une petite parenthèse pour poser une question en même temps banale et existentielle. Qui est la suivante :
A quoi bon tout ça?
... et pour essayer d'y répondre :
Quand je reçois quelqu'un au cabinet, je lui pose invariablement la même question :
"Quel est votre objectif?"(1)
Les réponses sont variées; "je veux être en meilleure santé"; "plus serein/e"; "avoir moins d'angoisses".
En gros, il s'agit toujours d'être moins tourmenté. Et le plus souvent - être moins tourmenté non en comprenant comment mieux affronter la source du tourment, mais en trouvant un moyen de le faire disparaître.
Ce qui est tout à fait naturel et compréhensible. Nous avons tous appris depuis tout petit à faire "disparaitre" nos bobos. Avec un bisou et un sparadrap sur le genou écorché, un Dafalgan, un verre de vin, une séparation. De la volonté. Des séances de musculation ou de fitness. Etc(2).
La mauvaise nouvelle est que le tourment en question ne disparaîtra pas avant qu'on ne l'affronte réellement(3).
Car, derrière chaque souffrance qui nous empêche de dormir, qui nous donne mal au ventre, bref, qui nous met dans un inconfort plus ou moins insupportable, se cache une blessure du cœur. Et on peut passer des années à l’anesthésier, la mettre dans le déni, la plâtrer, la bétonner et mettre une belle couche de peinture par dessus - elle nous attrapera de toutes manières.
La bonne nouvelle est que le tourment en question disparaîtra si l'on prend le courage de l'affronter réellement.
Alors autant ne pas perdre du temps et nous occuper de ce cœur oublié et ses lois, (même si elles peuvent apparaître comme révoltantes et absurdes(4). )
Voici l'histoire classique d'un cœur humain, bien évidemment simplifié et réduite à son expression la plus simple (enfin, aussi simple que je peux).
Quand nous venons au monde, notre cœur est tout petit et tout mignon, comme nous:

Il est prêt à démarrer une grande histoire d'amour avec la vie(5).
Il se nourrit de chaque instant passé dans les bras de parents, à rigoler, à se faire câliner. Bref, inutile de dire de quoi se nourrit le cœur d'un petit humain.
Inutile aussi de dire que les cœurs de nous tous ont été, tôt ou tard, ébréchés...

...par les injustices, les querelles, les choses trop dures à comprendre quand on est petit(6).
Ensuite, et à multiples occasions, le cœur de tout un chacun est déchiré

...par les trahisons, séparations, départs.
(Et en même temps - ce qui est toujours aussi bluffant pour moi - un cœur, même en miettes, tient bon et assure les fonctions les plus importantes. Quand on y pense, c'est juste dingue.)
Le match de boxe le Cœur versus le Monde continue toute notre vie. Il est tout de même le plus violent pendant l'enfance et l'adolescence. C'est à dire pendant cette délicate période où nous essayons à tout prix de créer une carapace, mais ça ne marche pas aussi bien qu'on aimerait. Au bout du compte le match finit plus ou moins comme ça:

Et c'est là que nous finissons par construire un bouclier autour; c'est la question de survie. On ne peut pas se permettre que notre cœur tombe en miettes.
Les boucliers peuvent être divers et variés; chez certains, ils ressembleront à du fil barbelé, chez d'autres à un bunker épais, à de la glace, à la vitre blindée ou un champ électromagnétique. Selon notre caractère et nos besoins.

(J'ai choisi le fil barbelé parce que le plus facile à dessiner.)
Une fois le bouclier installé, on pense qu'on peut respirer un peu. Ça a l'air chouette, on a trouvé l'astuce pour ne pas se décomposer ou mourir de chagrin. Comme si on avait une jambe cassé et on nous avait enfin mis du plâtre.
Sauf que, quand il s'agit de la jambe cassé, il y a un orthopédiste compétent pour nous informer à quel moment on enlève le plâtre et on commence la rééducation de la jambe. Le cardiologue ne le fera pas, du coup, avec notre cœur, nous sommes livrés à nous-mêmes.
Et il arrive souvent que
- soit nous sommes tentés de garder notre bouclier à vie ("je ne me ferai plus avoir!" "je coupe tous les liens toxiques!" "je décide d'être libre/louve/ancestrale et c'est moi qui invite les autres dans ma vie!"(7) )
- soit que tout bonnement nous l'oublions et nous nous mettons à fonctionner en l'ignorant (et en s'étonnant pourquoi les autres nous trouvent froids, blessants et antipathiques). Dans les deux cas, sans vraiment le vouloir, nous blessons notre entourage avec notre fil barbelé ou nous faisons aux autres les hématomes avec notre vitrage froid et blindé.
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(1) Tous les kinésiologues (à ce que je sache) font ça.
(2) De la rhinoplastie. Des vacances aux tropiques. Des like sur les réseaux sociaux. Des (oui, je radote...) cours de développement de personnalité. Des séances de Mindfullnes. De la méditation. De l'hypnose. Une nouvelle relation. Un amour passionnel. Une psychothérapie. Le monde moderne nous offre plus de moyens de faire "disparaitre" nos tourments que nous avons des cheveux sur la tête ou des secondes à vivre. Et ce sont tous des pièges.
(3) Je n'ai pas la bonne manière de le dire malheureusement. Ce qui me coûte de perdre le lien avec certaines personnes. Au temps pour moi. Bon, celui qui est parfait, qu'il lance la première pierre.
(4) Encore plus s'il s'agit des cœurs des autres. Et encore plus si ces autres-là, on ne les aime pas.
(5) Ce sera un jour décrit en détail dans la note "Le pont tactile"
(6) Et puisqu'on est trop petit et pas encore équipé pour la compréhension de ce qui nous arrive, cela nous met dans la confusion. Autrement dit - puisqu'on n'obtient pas l'explication réelle de ce qui se passe (par exemple "pourquoi maman me crie dessus alors que je n'ai rien fait), et notre nature ne supporte pas le vide, on invente soi-même une explication pour que notre système interne tienne et pour ne pas devenir fou (par exemple - "ma maman aurait préféré que je sois une fille"; ou une autre parmi un milliard d'explications accessibles pour un petit enfant).
Cela veut dire que la confusion se produit au moment où notre cœur sait que quelque chose ne tourne pas rond, mais notre tête n'arrive pas à trouver la vrai raison.
(7) Pardon, mille fois pardon.
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