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Photo du rédacteurEwa Staub

En toute humilité

Dernière mise à jour : 13 avr. 2023



Quand on dit « l’humilité », on pense automatiquement « l’impuissance ». Quand on dit de quelqu’un qu’il est « humble », on voit tout de suite quelqu’un de faible, retiré et complexé. Bien sûr, si nous prenons la peine de nous concentrer pendant 5 minutes sur la question, nous voyons l’inexactitude de ce collage mental. Mais, puisque nous ne pouvons pas prendre ces 5 minutes au quotidien, réfléchissons-y ici et maintenant.


La personne complexée et retirée n’a pas de moyens d’être humble.


Car l’humilité c’est l’antithèse de l’impuissance et de la résignation.


Je m’explique : nos faiblesses, nos peurs, nos faiblesses, en gros – les gros sacs de nos déficiences que nous trainons derrière nous depuis notre tendre enfance, ils sont pour nous beaucoup trop dangereux pour les regarder juste comme ça, et ne pas mourir immédiatement de désespoir. Nous passons notre vie à faire semblant qu’ils n’existent pas et à les camoufler en même temps. Ce qui est tout à fait logique – le gros de notre énergie, nous dépensons à camoufler ce qui n’existe pas. Enfin bref…


Revenons à nos moutons.


Chacune de nos déficiences (en tout cas chacune que j’ai tâtée personnellement) commence, quelque part au bout de ses racines….




…. par la pensée, souvent trainée depuis des générations, qu’on peut habiller avec les mots suivants :

« Si je me mets à pleurer, maman m’abandonnera et je mourrai. »


Cette pensée se décline ensuite en mille facettes (regardez la quantité des racines sur la photo et essayez de les compter…) individuelles, du genre : « Ils vont me jeter de l’orphelinat directement dans la neige dehors. »

« Je serai ridiculisé devant toute la tribu Umba-Lumba, ensuite le Grand Chef me coupera en tranches, rôtira dans le feu, donnera à manger et le reste jettera aux hyènes. »

« Le Bon Dieu verra que je suis nu et me chassera de l’Eden pour toujours. »*


En un mot – le prix pour montrer sa faiblesse et pour avouer (même à soi-même) quelque chose de peu glorieux** est si vertigineux et ancré si profondément en même temps, qu’elle dépasse mille fois nos moyens de paiement.


Sauf si - - - nous sommes humbles.

L’humilité rend capable de se sortir du cœur et de la bouche des fils barbelés et du ver pillé du genre :

« Je préfère t’inviter dans un restaurant très cher que d’aller te présenter à mes parents. Je sais que ma mère te fera sentir que tu es un moins que rien, et à moi – qu’elle regrette l’argent mis dans mes études si je ne peux pas trouver mieux qu’une petite serveuse pour coucher avec. »

« Cher***** fiston, j’ai tellement peur de mourir dans la misère que, tant que tu ne trouveras pas une femme bien qui veillera sur ta fortune, je vais t’humilier et veiller à ce qu’aucune fille légère ne mette la grappe sur tes biens. »

« Je suis partie en te laissant seul avec les enfants, car cet autre homme m’offrait du confort, alors que toi tu buvais et tu t’apitoyais sur toi. »

« Je préférais te traiter de traînée devant nos enfants que d’arrêter de boire et de me lever du canapé. »

« A la place de vous défendre quand votre père buvait et cognait, je vous hurlais dessus et j’exigeais que vous me foutiez la paix, puisque je suis déjà assez malheureuse comme ça. »

« A la place de dire à votre père que son job ne consiste pas à vous humilier et à se barrer, je consentais, par lâcheté, en silence et avec sourire. »


… ensuite, l’humilité rend capable d’ouvrir ses oreilles à des couteaux glaciaux****** comme ceci :


« Tu m’as tellement déçu/e. »

« On ne veut pas que tu viennes à nos soirées. Tu n’es pas le/a bienvenu/e. »

« Dégage. »

« Ce que tu proposes est inutile. »


… et ensuite, c’est l’humilité qui permet de se relever, essuyer la boue et de dire, par exemple : « Je t’ai déçu et je t’ai blessé. Je te demande pardon. Je me suis mise hors de moi et j’ai laissé de la place à mes démons qui m’ont fait te voir comme un gremlin, un vieux troll couvert de verrues. Je ne voyais pas que je t’ai trahi. Je ne voyais pas la laideur de mes décisions. Je pensais que c’était la seule voie pour survivre. Je voyais en toi un ennemi mortel, alors que tu me faisais juste voir ce qui était mort en moi. Est-que ce tu es d’accord qu’on tente de reconstruire ce champ de ruines ensemble ? »


Ou : « D’accord. Je n’attendrai plus que vous m’invitiez à vos soirées. Je comprends que mon apparence et mon appartenance vous gêne et casse l’ambiance. En effet, je peux sembler un peu difforme. Tant pis. Je vais encore rêver que vous m’acceptiez un jour et que je pourrai chauffer mon cœur dans votre bienveillance. Ensuite, cela passera et j’apprendrai à vivre seul ou avec les autres, sans mépriser ces autres uniquement parce qu’ils ne sont pas vous. » Pour conclure ces banales divagations sur l’humilité : Malgré les apparences, l’humilité n’est pas l’impuissance. Bien au contraire, c’est l’état d’abnégation héroïque qui donne la force de lever le voile qui nous sépare de nos propres monstres, nos propres démons et nos propres cauchemars. Et de leur botter le cul à tous. Et de constater que, tout compte fait, la vie avec ce voile baissé est médiocre, ennuyeuse, fade et fausse.


Post scriptum : Est-ce que vous connaissez le vieux livre d’Irvin Shaw, « Le bal des maudits » (The Yong Lions) ?... Un des 3 personnages principaux de ce livre c’est Noah Ackermann. Il ressemble un peu au prince Muichkine chez Dostoïevski (« L’Idiot ») ou à Gimpel chez Singer (« Gimpel le naïf »). Et aussi il ressemble un peu à un enfant dans le spectre d’autisme. Il ne peut tout simplement pas se retenir de dire la vérité tout simplement et de faire les choses qu’il ne peut pas ne pas faire. Il est tellement humble qu’il ne sait pas qu’il l’est. Et tout est là.



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*Eh ben justement, c’est une des questions qui me taraudent – si Adam, à la place de se cacher dans les buissons avec Eve, s’était mis à hurler de toutes ses forces : « Père ! Père ! Au secours !! Nous avons mangé une cochonnerie, nous te supplions de nous faire un lavage d’estomac !!! » - est-ce que, dans ce cas, l’histoire du monde aurait été différente et est-ce que toute la Bible aurait été bonne à écrire à nouveau ?


** A) Là, on parle d’un sincère examen de conscience, et pas de rituel de s’apitoyer sur soi-même et sa misère, ce qui n’est pas du tout la même chose et il est très important de discerner entre les deux. En très bref – le second conduit vers le désespoir et le premier ouvre sur la liberté. B) « Quelque chose de pas glorieux » ne doit pas forcément être de notre faute. Imaginons un enfant qui revient à la maison du jardin d’enfants et doit répondre à sa maman toute maigre et couverte des bleus, comment s’est passé sa journée. Cet enfant doit choisir entre la réponse A, qui est « c’était très bien », et la réponse B, qui est : « personne ne voulait jouer avec moi, parce qu’ils ont dit que j’avais les trous dans mes collants. »***


***Cela nous propulse directement dans l’éternel sujet de La Maman. Au fond de moi, je garde précieusement l’image d’une fille héroïque qui, sans trop se donner de la peine à camoufler ses bleus, vient chercher son petit, le prend dans ses bras et lui dit « hello mon Cœur, il se peut que tu aies passé une journée affreuse et que personne n’ait voulu jouer avec toi à cause de tes collants rapiécés. T’inquiète, on va pouvoir gérer ça et bien d’autres situations de crise. Et tes petits camarades, peut-être, resteront pendant toute leur vie, impuissants devant un affublement**** troué. Je t’aime. »


**** Il est très important d’utiliser avec les enfants les mots compliqués depuis leur plus jeune âge. Comme, par exemple, « l’affublement ». Ou « je t’aime ».


***** Hehehehe.


****** Tenir hors de la portée des enfants.

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