J'aime bien avoir en face quelqu'un qui m'explique, avec tout son sérieux, sa plus grande vérité* spirituelle, qui se résume le plus simplement par "on n'a pas besoin de Dieu**, il suffit d'être une bonne personne***".
J'aime ça car c'est l'occasion de dégainer ma réplique favorite (bien qu'usée): je valide vigoureusement, et j'ajoute, avec beaucoup d'enthousiasme**** que oui, en effet, il est tout aussi inutile d'avoir une colonne vertébrale alors qu'il suffit d'avoir le dos droit / d'utiliser le dentifrice et la brosse, il suffit d'avoir des belles dents / de connaître et appliquer les règles d'orthographe, il suffit d'écrire sans fautes***** / de manger sainement et de faire du sport, il suffit de ne pas être malade et obèse / de connaître le tableau des multiplications, il suffit de tomber juste****** / de se servir de niveau à bulle, il suffit que la maison tienne / de brancher la lampe à la prise et mettre l'ampoule, puisqu'il suffit qu'elle éclaire.
Au retour, si je ne suis pas encore prise pour une vieille folle ennuyeuse, je reçois la décharge des as de la manche de l'interlocuteur, merveilleusement préparé à ce genre d'échanges par ce qui est distillé par les sources dignes de confiance, à savoir le système éducatif*******, le système d'information et le système de divertissement; Ces as vaillamment dégainés sont invariablement: les prêtres pédophiles, l'inquisition, les croisades, les guerres de religion, l'argent, l'opium du peuple, le lavage des cerveaux, la mafia noire de Vatican.
Avant, je me mettais à bâiller vers les croisades. Aujourd'hui, je coupe impoliment pour compléter la liste par moi-même et ensuite encourager l'interlocuteur à tisser, tout seul comme un grand, le lien logique et directe entre la non-existence de Dieu, son projet d'être une bonne personne, les mafiosos dans les soutanes et éventuellement les avantages d'aller faire les bisous aux arbres sous la pluie********.
Ensuite la discussion s'étiole d'habitude un brin, les émotions descendent gentiment et, bizarrement, nous nous apercevons que nous parlons cuisine, vacances, vélo. Ou 7489546579 sujets qui servent aujourd'hui de plâtre relationnel et intellectuel. Aujourd'hui (alors que, eh oui, je priais), une autre image m'est venue par rapport à la différence entre croire et ne pas croire. Je me suis dit que dans notre réalité confortable il est impossible de faire la différence entre la personne croyante et non croyante. Les deux, au quotidien, ont l'air identique. Les deux peuvent être belles, disgracieuses, heureuses, tristes, furax. Bien habillées ou négligées. Portant des blessures et vieilles rancunes.
La différence peut se voir au moment où une épreuve arrive. Et elle est la suivante:
La personne non-croyante, serait-elle la plus gentille et futée au monde, mais qui fonctionne dans le modèle "il suffit d'être une bonne personne" et qui est, en quelque sorte, son autorité suprême et son propre dieu*********, au moment de l'épreuve ne peut compter que sur elle-même. (Même si elle veut bien se bercer d'illusion que, par exemple, son médecin la sauvera du cancer du pancréas ou qu'une voyante lui fera parler à un proche disparu.)
Elle fera naturellement tout pour "s'en sortir" par ses propres moyens, ce qui correspondra en tout point à ce que faisait le Baron de Munchausen en se tirant par les cheveux du marécage. Avec son cheval.
Le constat qu'il s'agit d'une fiction malfaisante vient souvent trop tard. Quand la personne est déjà inscrite à l'EXIT, dépendante des produits chimiques diverses ou quand elle a signé une autre sorte de pacte avec l'abime. Là, l'intervention de la Providence, des Anges Gardiens et beaucoup d'humilité sont nécessaires.
Alors que, de l'autre côté, la personne parfaitement lambda, avec son lot de blessures, faiblesses et tares, mais qui est consciente qu'elle ne s'est pas crée toute seule mais l'a été par une force plus grande qu'elle, et tellement plus grande qu'elle la dépasse complétement - cette personne-là, au moment de l'épreuve, ne pensera pas à se tirer très fort par les cheveux. Elle lèvera les yeux et les mains vers le ciel et elle appellera au secours.
C'est une minuscule différence qui change TOUT.
Au revoir, beau-papa.
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* aujourd'hui quelqu'un qui pense exprimer une vérité exprime le plus souvent uniquement son opinion personnelle, forgée sur, eh ben, forgée sur quelque chose.
** souvent prononcé avec un pronom indéfini et une minuscule.
*** cette question d'être une "bonne personne" ou "gentil" ouvre tout de suite sur la question d'acceptation de soi, qui est un immense piège, un gros sac où on a mis tout et n'importe quoi, et qu'il est urgent de débroussailler attentivement. Le plus souvent, à la place de nous proposer d'accepter notre imperfection comme le point de départ, on nous la présente comme une fatalité. De sorte que toute suggestion de travailler sur nos faiblesses nous arrive comme une méchante et vaine critique qui nous blesse et à laquelle il est légitime que nous répondions agressivement. (Affaire à suivre.)
**** en réalité, je suis une personne peu joyeuse, même un peu ralentie et dépressive, donc ce qui est pour moi de l'enthousiasme peut objectivement correspondre à une molle moquerie et amertume.
***** yghyyyy.... cinon à moin ce fer conprandr.
****** un peu comme au lotto. Notez, à l'époque où "la vérité" et "mon opinion", ainsi que "le système de croyances" sont les synonymes sans sens ni poids, le 5+5 peuvent très bien faire 28,426 parce qu'au fond pourquoi pas :-)
******* hehehehehehe.
******* ou d'enterrer ses menstruations dans le back yard à la pleine lune. (Si vous saviez comme c'est tentant de donner encore 37654283 exemples de cultes que j'ai sous la main. Mais non. Perdons pas le fil... )
******** et qui n'a donc aucun pouvoir au-delà de soi, à l'exception, bien sûr, des impôts, de son directeur, de l’État, de son médecin, de l'opinion publique, du regard d'autrui, de son envie de sucre, de son diabète, de sa dépression, de ses crises d'angoisse.
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